lundi 23 février 2015

Sombre présage



Un corbeau mort, dont le bec sale pointe vers le mur du fond, fascine trois silhouettes qui se rapprochent mollement. L'une d'elle enfonce le bout fatigué de sa basket dans le corps du piaf dont l'âme CRIE. Emprisonné dans une carcasse immobile, l'oiseau de fumée donne de furieux coups de bec dans tous les sens, battant des ailes, désespéré.




Les membres ankylosés par la dope, le jeune à la basket pourrie laisse glisser un peu de poudre en tentant de se resservir ; lors de sa chute, la poussière chimique absorbe les ondes énervées du morceau joué dans la grande salle, pour finir sa course tout contre l'oeil morne du volatile. Au contact de la came avec ses nerfs mortifères, le système nerveux du cadavre se réveil, puisant l'énergie nécessaire à sa renaissance. Gonflé d’orgueil, assoiffé de vengeance, l'oiseau croasse et plante son bec dans le pied du gamin, déploie ses ailes et se tourne vers les deux autres silhouettes, paralysées. De ses griffes de métal il déchire le sweat du plus petit, arrachant des ficelles de chair molle, puis s'attaque avec férocité au visage du troisième, enfonçant son bec dans les joues, picorant le nez, arrachant la peau.

 



Enfin, lorsque les dernières notes s'évaporent dans l'atmosphère chargée en sueur, le corbeau s'éloigne du club , laissant à l'aurore le soin de recouvrir les trois cadavres de son drap trempé de rosée.




mardi 17 février 2015

Blue Train

John Coltrane - 1957


Les bouffeurs d'herbe, indisciplinés et braillards, piétinent les carreaux froids du corridor. Je me suis planqué en salle 103, sax à la main. L'instrument fatigué a l'anche qui bave.. j'attends, les yeux rivés sur la porte. Un bestiau toqué renifle la poignée, je l'entends gratter le sol. Les sabots ébènes du monstre perdent patience, s'usant avec férocité. D'un mouvement félin, j'opère un repli stratégique derrière le piano, collant mon dos en sueur contre le corps en bois de hêtre, qui s'empresse de me murmurer à l'oreille de bien sombres présages.
La porte craque et cède à un claquement de corne ultra violent, je perçois les tremblements de peur d'mon saxophone entre mes doigts; la bête immonde prend tout son temps, savourant sa victoire, et pénètre dans la pièce d'un pas étonnamment léger. Une cymbale m'offre son reflet , un haut-le-corps incontrôlable agite mon squelette, je trouille! À une poignée de centimètres du piano , le monstre s'arrête, collant sa truffe au sol, soufflant comme un beau diable.
J'approche l'anche de mes lèvres sèches et souffle dans l'instrument. Que fanfaronne la mélodie! Sûre d'elle, la voilà qui chatouille les genoux de la bête, tirant sur ses moustaches et sur sa queue. Muée par l'énergie du désespoir, rien ne semble pouvoir l'arrêter : elle s'en prend aux tables, aux fenêtres, aux autres instruments endormis. Du pied je marque le tempo en me mettant debout. J'ose enfin affronter mon adversaire de face, je fixe ses prunelles tout en jouant. Maître suprême de l'atmosphère, j'enchante les êtres et entités . Au contact des morceaux fiévreux qui s’enchaînent, mon pouvoir grandit, dévorant goulûment la bête, pétrifiée par l'horreur. Comme un relent mélancolique, de rêves depuis longtemps effacés.

La fin du disque sonne comme une cloche de ring. Et ce combat nous laisse groggy , la bouche ouverte, les doigts caressant l'instrument imaginaire de Trane, dont les ondulations parfaites nous ont traversés , il y a quelques instants.. Et, tout comme la basse, le disque reste, immuable, dans nos veines enivrées d'un nectar mélancolique de choix, dont les vapeurs sucrées invitent à l'Aventure.

jeudi 12 février 2015

Déesse Nocturne

Dawn Richard - Blackheart (2015)


Derrière une montagne d'articles numérotés, règne une jolie brune aux ongles étoiles. Inlassablement, au fil des secondes qui s'égrainent, ses mains vont et viennent par dessus les denrées que les clients achètent, visages renfrognés ou trognes de déclassés, charmant sourire pour une armée d'ombres pressées.

Je ne juge ce temps perdu, ne le méprise ,
Enveloppant sa silhouette, Il la protège;

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La voilà qui trotte sous une lune sans entaille,
portant à ses lèvres une 'garette grésillante
qu'elle écrase du talon, ouvrant ainsi la faille
dont s'échappent des reflux d'Adiante



Blackheart est emprunt d'une féminité absolue, loin d'être étouffante -
Des instrus espiègles à la voix au goût de nuit, l'album agit comme une invitation au Songe, déclamant la promesse d'un crépuscule à deux, tout en douceur.
Jamais je n'avais entendu d'Interludes aussi complets, - Choices en est l'exemple parfait- et ces détails, dans les instrus, qui éveillent sans cesse quelque chose, au fin fond de nos mémoires, de nos entrailles.. quant à cette voix... limpide, chargée d'une touche mélancolique, comment ne pas succomber??


mercredi 11 février 2015

B4.DA.$$

Joey Bada$$ - 2015


une fois ce disque lancé, impossible de décrocher.
le kid connait son affaire et débite ses lyrics avec une aisance goût caramel, enrobant le tout d'instrus solides.
Quand je marche avec B4.DA.$$ dans les oreilles, mes mains s'élèvent et chatouillent la gravité, mon pas s'accorde avec ses beats hip-hop judicieusement choisis, petits mouvements de la nuque vers le sol et je m'imagine à ses côtés, sur le bitume rugueux d'une ville aux artères congelées par un torrent mainstream poisseux qu'il faut à tout prix contourner.
L'artiste n'invente rien, mais tout son skeud s'articule autour d'une colonne immuable et régulière, dont les racines chatouillent les tympans de la Terre, sans rougir.