vendredi 29 avril 2016

L'homme et son chien

Il a la gueule en vrac, la barbe mal rasée.
Inhale un peu de crack, hélas pour ses poumons cramés.


Adossé à la vitrine d'un petit supermarché, C. se grille une cigarette en caressant doucement son chien, tranquille et doux, roulé en boule à ses pieds. À leurs côtés, un bol en plastique où se battent quelques pièces jetées par des clients, au cours de la matinée. Maigre butin pour tout œil repu, ça leur suffit quand même. L'homme penche légèrement sa silhouette vers l'avant afin de saisir une bouteille. Il presse le goulot contre ses lèvres sèches, taillées par le Temps, et savoure la tiède caresse du liquide ambré dans son œsophage. Sa peau à beau être rougie par l'alcool et les excès, boursouflée en maints endroits, son regard bleu est vif, d'acier. Il observe les passants, qu'il trouve peu intéressants. Lâche un rot discret, tope la patte à un vieux pote, partage un peu d'herbe avec lui, en rigolant. Les minutes s'égrainent au rythme des grésillements de sa petite radio, dont l'antenne rafistolée s'agite tant bien que mal afin de capter les ondes d'une station rock. C. soupire en repensant à quelques souvenirs imbibés qui cabriolent dans sa mémoire. Soudain, le monde réel revient à ses yeux, son regard s'illumine. La démarche reconnaissable d'une jeune fille rencontrée quelques semaines plus tôt le fait sourire. Ils se saluent , il la taquine, elle lui raconte quelques péripéties puis s'engouffre dans le supermarché.
Le chien dresse une oreille, relève son museau. Sur le trottoir d'en face, trottine une belle Shetland au poil brillant, tenu en laisse par une grande dame coiffée d'un chapeau à plumes. Le toutou de C. aboie en agitant sa queue.
"Doucement mon grand, murmure C. , oui, c'est une belle femelle, mais reste là"
C. n'attache jamais son animal, et ce dernier a appris à contenir ses élans. Il continue de scruter la Shetland en jappant joyeusement. Cette dernière, dignement, tourne légèrement la tête et croise le regard pétillant du Don Juan. Puis, femme et femelle tournent au coin de la rue, laissant une trainée de parfum invincible derrière elles.
La jeune ressort du magasin, les bras chargés de surprises. Quelques boites de pâté pour le toutou, des canettes de bière fraiche pour elle et C., un reste de monnaie pour le bol en plastique.
C. déblatère ses histoires à une vitesse maladive, se répète souvent, mais la fille l'écoute attentivement, ne manquant jamais de participer.
D'autres connaissances de C. se joignent à la fête, vieux gaillards à la peau malaxée par les épreuves, toujours une anecdote au coin des lèvres. Les roulées passent de main en main, l'après-midi s'écoule gaiement, arrosée d'alcools divers la voilà qui s'étire, à la manière d'un chat fondant, les gros éclats de rire s'élèvent dans l'atmosphère et s'éparpillent au gré du vent, aux quatre coins de la ville....




C'était il y a peu, que je m'arrêtais souvent, devant ce supermarché. À l'écoute de l'album, j'ai repensé à C. et à son chien, inséparables trublions de la normalité avec qui il était impossible de s'ennuyer. La track 10 et son synthé mélancolique ferait frémir C., lui qui ne jure que par les guitares électriques baignées de stupre et de sueur. Mais qu'importe, la musique est imprévisible, ne se gênant pas pour activer des émotions dont on ne sera jamais maître. 


samedi 16 avril 2016

Irréel

Je  veux l'omniscience des fantômes pour rester à tes côtés, chaque instant jusqu'à la fin.
Donnez-moi du poison!
J'avalerai une bouchée pleine, à quelques centimètres de ton corps, afin de mourir dans tes bras.
J'accuse!
Mon âme de s'être scindée en deux.
Cette scission m'a rendue égoïste, j'ai le visage couvert de boue.
âpre et pâteuse, elle me ronge les chairs et liquéfie le cerveau
Pardonne-moi!
J'aimerais m'oublier, me dissoudre, et surtout effacer les traces de mon errance manquée.

Je l'aime et la chéris, la grande faucheuse aux cernes sombres. Ce matin encore, j'ai failli l'embrasser.
Qu'y puis-je?
La courbe de tes épaules, ton souffle parfumé me retiennent.
Pourtant, non loin de là, l'horreur palpite, bouillante et téméraire, déchirant les moissons de feu.

Avec tendresse je mords un bout de ton coeur et le recrache à tes pieds tremblants.
Quitte à souffrir toujours je choisis les contours
et non ta chair exquise de nymphe effarouchée.
Je m'écarte et dans la brume et emporte avec moi le tendre souvenir de tes caresses.



J'ai été laissé pour mort dans la morne nature.
Le front couvert de mousse, les reins sanglés par l'aubépine.
D'entre un millier de vaines embrassades je ne recherche que tes lèvres liquides pour m'abreuver.

à l'aube de tes cuisses se tord un petit hérisson.
Aveugle et sourd, il contracte son museau tentant désespérément de se repérer.
Prends garde à ne pas l'étouffer d'un coup de hanches, il est maladroit!
Petite boule piquante aux reflets tristes s'avance en grésillant.
De ta peau sucrée, il se délecte, goûtant tes chairs par minuscules lampées.

Il faudrait une armée d'ogres gras pour l'arrêter, tant il est épris.
Mais ses épines te font souffrir, et tu écartes les jambes.
Un gouffre rugissant de lumière,
d'où bouillonnent des flaques de sang se dessine
dans la toison, happe et avale, le petit hérisson.