dimanche 19 février 2017

L'Oublie

À l’autre bout du monde, là où les ombres n’ont pas de coeur, un jeune prophète se bourre la gueule sans sourciller. Le goulot froid, entre ses lèvres tristes, teinte l’aurore de ses harmonies ivres. La tête du garçon frappe ses épaules avec une régularité déconcertante de métronome sérieux, gauche-droite-gauche-droite__________ la ligne est fatiguée.
Sous ses yeux d’ébène, une femme à la peau morte s’endort, le nez sur son violon. Pour qui joue-t-elle, depuis des mois, si ce n’est pour un souvenir? Elle s’est usé les os, à force d’espérer; son horrible dos se courbe plus bas que terre au rythme des âmes transies d’effroi qui s’amoncellent, en tas de boue crasseux, au pied du lit inoccupé. La solitude comme point de repère, une cigarette invisible derrière l’oreille, le jeune garçon défie la mort droit dans les yeux — c’est ton odeur, oui! Ton odeur qui m’a rappelé à toi, ô toi, frêle navire aux cales vermoulues. Le vent s’engouffre entre tes cuisses, ma langue s’assèche et mes oreilles multiplient le fracas des battements de ton coeur– mensonge! Ta tendre poitrine est vide, creuse comme une vieille souche fatiguée. Les couleurs ont toutes été oubliées et je regrette, oh oui, je regrette, de ne pas les avoir enlacées.
à l’époque où mes bras pouvaient s’élever , j’aurais fendu ton âme et embrassé tes plaies, lécher tes joues acides et prié le Soleil de ne pas trop douiller. Assommante errance d’un astre triste, recroquevillé entre les mauvaises mains, le buste écartelé aux pointes de la plus belle étoile, le garçon meurt à petit feu.                                              

Je t’aime, sublime chimère, même quand je ne suis plus.